La langouste rouge en Iroise
Histoire d'une reconquête
Suite à l'effondrement des stocks de pêche de la langouste rouge, les pêcheurs professionnels ont choisi de fermer à la pêche une zone de 49 km² dans la chaussée de Sein. Depuis 2009, les agents de l'OFB au parc marin, de l’Ifremer et des pêcheurs de l’île de Sein avec le comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins du Finistère y effectuent des pêches scientifiques annuelles.
L'importance de la pêche à la langouste rouge en mer d'Iroise : historique et enjeux
La langouste rouge (Palinurus elephas), espèce emblématique des fonds rocheux en mer d'Iroise, fait partie intégrante du patrimoine local. Ce crustacé appartient à la famille des Palinuridae et peut vivre jusqu’à 35 ans. Elle est présente à des profondeurs pouvant aller jusqu’à 150 mètres.
L’espèce est largement répandue dans la Méditerranée et l’Atlantique Nord-Est, s'étendant du sud du Maroc jusqu’au nord de l’Écosse. Son corps rouge vif, ses longues antennes caractéristiques et ses pinces fines en font un crustacé facilement reconnaissable.
La langouste rouge a longtemps fait l'objet d'une pêche importante, devenue au fil du temps une activité centrale de la région. Pourtant, la pêche langoustière a connu de profondes transformations au cours du XXe et XXIe siècle, mettant en péril cette ressource précieuse.
Le déclin rapide des stocks
À partir des années 1950, les débarquements diminuent drastiquement. La pêche n'étant plus rentable pour beaucoup, de nombreux pêcheurs changent de métier ou se dirigent vers d'autres zones de pêche plus au Nord ou au Sud. Certains optent pour la capture d'autres espèces locales, comme le tourteau ou la coquille Saint-Jacques, tandis que d'autres, souvent plus âgés, s'accrochent à l’activité langoustière malgré une rentabilité en déclin. Ainsi, le nombre de bateaux dédiés à la pêche de la langouste baisse progressivement, aggravé par des départs à la retraite non remplacés par les nouvelles générations.
Transition vers la pêche au filet
En 1975, un nouveau tournant survient avec l'introduction des filets dans la pêche à la langouste. Beaucoup plus efficaces que les casiers traditionnels, les filets permettent de capturer jusqu'à 80 langoustes contre seulement 7 ou 8 avec un casier. Cette transition est rapidement adoptée par la majorité des pêcheurs, qui cherchent à augmenter leur rendement. L'utilisation de filets sur plusieurs kilomètres accentue encore la pression sur les stocks.
Cependant, cette méthode s’avère bien moins sélective que les casiers. Les filets capturent à la fois de grands spécimens reproducteurs et des individus immatures, ce qui empêche le renouvellement des populations. Cette surpêche, combinée à l'absence de réglementation appropriée, entraîne une diminution drastique du stock de langoustes, plongeant l’activité dans une crise profonde.
Causes du déclin et absence de gestion
Pendant des décennies, la pêche à la langouste rouge a été menée sans véritable cadre de gestion. Cette absence de régulation a conduit à une exploitation excessive, particulièrement après l’introduction de la motorisation des flottilles de pêche et l'évolution des techniques. Si les débarquements atteignaient 1 000 tonnes dans les années 1950, ils s’effondrent à seulement 15 tonnes en 2010, illustrant l'ampleur de la crise.
L’intensification de l'effort de pêche, sans mesures de gestion adaptées aux nouvelles pratiques comme le passage aux filets, a aggravé la situation. La surexploitation des stocks a non seulement mis en péril l’espèce, mais également une activité profondément ancrée dans la culture locale.
Premières mesures de gestion
Face à cette situation alarmante, des mesures de gestion ont progressivement été mises en place à partir des années 2000. L'objectif : enrayer la chute des stocks de langouste rouge et rétablir une pêche durable.
L'une des premières étapes importantes fut la création, en 2006, d’un cantonnement de 49 km² dans la chaussée de Sein, au sein du Parc Naturel Marin d’Iroise. Ce cantonnement, le plus grand d’Europe consacré à la protection de la langouste rouge, interdit toute forme de pêche commerciale dans cette zone, à l’exception de la pêche à la ligne et des activités scientifiques. Ce périmètre de protection a permis d’établir une zone de suivi et d’étude, essentielle pour la compréhension et la préservation de l’espèce.
La mise en œuvre de ce cantonnement a été soutenue par diverses instances de concertation, notamment la Commission Nationale Crustacés du CNPMEM et les réglementations nationales. De plus, la mesure de gestion locale portée par le CRP BZH a été déterminante pour l’implémentation effective de ce cantonnement.
Renforcement des mesures : taille minimale et fermeture saisonnière
D’autres mesures au niveau national ont par la suite été prises. En 2009, la taille minimale de capture augmente de 95 mm à 110 mm de longueur céphalothoracique (CL). Cette modification visait à permettre aux langoustes de compléter au moins un cycle de reproduction avant d'être capturées, assurant ainsi une biomasse féconde minimale en capacité d’assurer l’arrivée de nouvelles recrues et le renouvellement des populations.
En 2012, une fermeture annuelle de la pêche à la langouste a été instaurée du 1er janvier au 31 mars, période critique pour la reproduction des femelles, qui portent alors leurs œufs. En réduisant l'effort de pêche pendant cette période, cette mesure protège les futures générations de langoustes.
Entre 2014 et 2015, les pêcheurs eux-mêmes ont proposé d'interdire la capture des femelles grainées durant les mois d'avril et mai, afin de leur laisser le temps de libérer leurs œufs avant d'être capturées. En 2016, cette interdiction a été étendue à toute l'année, avec une obligation de remise à l’eau des femelles grainées. Ces mesures ont renforcé la protection de la biomasse féconde, composée d’individus capables de se reproduire et indispensable pour maintenir une population viable à long terme.
Suivi des populations et traçabilité des captures
En 2021, ce sont toutes les langoustes capturées qui doivent être marquées lors du débarquement. Ce marquage permet un suivi précis des captures, une meilleure traçabilité dans la filière et contribue à la valorisation du produit sur le marché.
Ces mesures combinées ont permis d'améliorer significativement l’état des populations de langoustes rouges. En effet, les débarquements sont passés de 15 tonnes en 2010 à 165 tonnes en 2023, démontrant l’efficacité de cette gestion collaborative entre scientifiques, pêcheurs et gestionnaires.
Résultats et perspectives
Zoom sur le cantonnement de la chaussée de Sein
Créé en 2006, le cantonnement de la chaussée de Sein s'est progressivement imposé comme un espace privilégié pour l'étude des populations de langoustes rouges Depuis 2009, les agents de l’OFB du parc marin, de l’Ifremer et des pêcheurs de l’île de Sein avec le comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins du Finistère y effectuent des pêches scientifiques annuelles. Ils se concentrent sur des périodes précises, notamment en été et en automne, et sur des secteurs distincts en fonction de la profondeur et de la nature des fonds rocheux. Chaque langouste capturée est soigneusement mesurée et marquée, certaines étant même équipées de puces électroniques pour suivre leur croissance et leurs déplacements.
Les études menées dans cette zone ont révélé des résultats impressionnants. L’abondance relative des langoustes y a été multipliée par 15 en seulement 15 ans, passant de 6 individus par kilomètre de filet en 2009 à 90 en 2023.
En parallèle, le suivi a révélé un déséquilibre dans le sex-ratio, avec une forte prédominance de mâles (83 % des individus capturés) par rapport aux femelles. Ce phénomène pourrait s'expliquer par des différences de comportement entre les sexes.
Croissance et comportement des langoustes
Les données récoltées dans le cantonnement ont permis d'approfondir nos connaissances sur la croissance de la langouste rouge. Le plus grand spécimen mesuré atteignait 180 mm CL, avec une croissance moyenne d'environ 10 mm CLpar an. Les femelles tendent à être plus petites que les mâles. La croissance de la langouste rouge ralentit avec l'âge, les jeunes individus affichant une croissance plus rapide. Ainsi, la progression de leur taille n’est pas linéaire. On estime qu’une langouste rouge agée de 6-7ans mesure environ 110 mm CL et qu’elle atteint sa maturité sexuelle entre 90-110 mm CL selon les individus.
Concernant leurs déplacements, il a été établi que les langoustes adultes sont relativement sédentaires, restant majoritairement proches de leur lieu de capture initial. En revanche, les juvéniles montrent davantage de mobilité. Pour mieux comprendre ces schémas de déplacement, le programme Fish Intel a lancé des études acoustiques visant à suivre les migrations et comportements de ces crustacés.
Suivi scientifique et programme RECCRU
Dans le cadre du programme RECCRU, qui suit le recrutement, les données montrent également une augmentation du nombre de recrues (futurs individus exploitables inférieurs à 100 mm dit immature). Cela reflète non seulement dans des débarquements plus importants mais aussi avec l’arrivée de langoustes immatures, qui étaient bien moins fréquentes auparavant.
De plus, des analyses de structures en tailles, réalisées à partir d’échantillons collectés en criée, ont permis d’identifier les individus les plus impactés par la pression de pêche. Ces analyses se basent sur la notion de cohortes, définies comme des groupes d’individus nés ou recrutés à la même période. Il a ainsi été établi que la pression de pêche se répartit principalement sur trois cohortes distinctes : celles des individus âgés de 6, 7 et 8 ans. Ces trois classes d'âge représentent environ 91 % des débarquements en mer d’Iroise.
Impacts potentiels des zones de protection sur les stocks
En parallèle de ces avancées, certaines hypothèses émergent quant à la dynamique des populations de langoustes et l’effet des zones protégées. La dérive larvaire issue du cantonnement de la chaussée de Sein pourrait contribuer au recrutement de nouvelles populations en dehors de la zone protégée, via un apport de langouste encore à l’état larvaire. Ce mécanisme contribuerait à stabiliser les stocks à long terme en facilitant le renouvellement naturel des populations en dehors du cantonnement.
Par ailleurs, un potentiel effet de « spill-over » pourrait également se produire si la densité de langoustes devenait trop élevée dans la zone de cantonnement. Cette surpopulation pourrait entraîner la migration de certains individus vers de nouveaux habitats à proximité, augmentant ainsi les captures dans les zones adjacentes.
Ces hypothèses soulignent l’importance du suivi scientifique continu dans la chaussée de Sein et de la collaboration entre pêcheurs, scientifiques et gestionnaires. Un autre exemple de cette dynamique est la coopération entre le CDPMEM29 et des pêcheurs australiens. A la suite de leurs échanges sur les connaissances et leur pratiques de gestion respectives, ils s'apprêtent à tester des casiers en bois, ce qui offre des approches innovantes et durables pour cette pêcherie
Un bilan positif
Les efforts de gestion portent leurs fruits. Depuis l'application des différentes mesures, les débarquements de langoustes rouges ont connu une nette progression, passant de 15 tonnes en 2010 à 174 tonnes en 2023.
Ces résultats témoignent de l’importance d’une gestion durable et collaborative des ressources marines. Grâce à la mobilisation des pêcheurs, des scientifiques et des gestionnaires, la langouste rouge, autrefois menacée, voit désormais ses populations se rétablir progressivement.

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